lundi 17 novembre 2014

Adrénaline

En ce moment sur twitter 10lunes nous demande des idées d'anecdotes joyeuses pour son calendrier de l'avent. voici le précédant.
Je lui propose un de ses premiers souvenirs de salle de garde, dommage, c'est deja fait. Mais elle me retourne ma question.

Mais j'ai beau fouiller dans les recoins de ma tête, impossible de m'en souvenir. Etait-ce en salle une? deux? ou trois? Qu'ai-je fais? Que rôle ai-je tenu? C’était il n'y a même pas un an et demi et pourtant ; impossible de m'en souvenir.

Peut-être est-ce dû au trop grand nombre d'accouchements auxquels j'ai déjà assisté? Au manque de temps passé avec ces patientes? Je n'en sais rien.
Mais pour palier à tout ca, je vais vous racconter "mon" premier accouchement "seule". (oui j'utilise des guillemets, ce n'est pas mon accouchement mais celui de ma patiente).


Adrénaline:

Aujourd'hui c'est A. le sage femme de garde qui m'encadre. Je suis en 4eme année, (ESF3 pour les vieilles et vieux). La matinée se passe tranquillement, on tente lui et moi de respecter au maximum la physiologie dans ce temple de la pathologie. Les femmes accouchent, les enfants et leurs parents naissent, comme tous les jours ici.

Madame Z arrive, elle doit être déclenchée, ne veut pas de péridurale. Le protocole du service et de tant d'autres services veut que je la branche de partout, de tous les cotés. tellement de fils, de perfusions que régulièrement je fais des nœuds avec.

Madame Z est charmante. Pour le moment je "n'ai" qu'elle. J'en profite donc pour discuter longuement.
Le déclenchement sans péridurale et allongée sur un lit est quelque chose qui semble terriblement douloureux. Mais Madame Z. est courageuse, c'est son 5eme accouchement. "je la connais la douleur, je suis prête" nous décidons donc elle et moi qu'on allait tout faire pour que ça se passe comme elle le désire.

Le temps passe et A me fait confiance, il me laisse gérer "vas-y, fais comme tu le sens, c'est ta patiente"

Malheureusement, un déclenchement c'est long, très long, l'ocytocine coule à flots dans ses veines.  Son ventre se contracte avec la régularité d'un métronome. Elle me demande de l'examiner pour savoir si ca bouge. Oui, ca a un peu bougé, mais pas plus que ca, le col est modifié dans sa texture, mais la dilatation n'avance pas. Cela fait deja 4 heures qu'elle est ici.
Madame Z. a mal, mais elle me dit qu'elle souhaite attendre encore 30 minutes: "si ca bouge, je continue comme ça, sinon, mettez moi une péridurale, je ne tiendrais pas" le contrat est passé. Je préviens l’anesthésiste qui passe dans le couloir "il y aura peut-être une péridurale en salle 2 d'ici peu". L’anesthésiste adorable, me dit qu'elle reste dans le coin et viendra si on l'appelle, sans nous presser.

La demi heure passe, rien ne bouge. je lui propose de s'assoir, peut-être aura-t-elle moins mal dans cette position? Et la gravité pourra aider? Mais la douleur est trop intense, elle n'arrive pas à bouger. Elle me redemande d'attendre une petite demi-heure, voir si "ça bouge".

Je reste avec elle pendant ce temps, j'essaie de lui faire oublier sa douleur, je tente 2, 3 blagues, assez mauvaises je l'avoue. Elle esquisse un sourire, mais ce n'est toujours pas ça. Je l'examine à nouveau. Rien ne change. Elle ne tient plus et me demande une péridurale. L’anesthésiste est là dans la minute qui suit, j'aide la patiente qui, à l'idée du soulagement de sa douleur regagne assez de force pour s'assoir, à s'installer. La peri est posée.

Je m'en vais remplir le partogramme histoire de ne rien oublier. A est parti dans les couloirs j'ignore où. Super-anesth repasse 10 minutes après pour voir si elle est soulagée. et ressort tout de suite "heu... Alice je crois que ta dame pousse" "impossible, elle était à 3 depuis 5h juste avant la péri".
Je vais voir Madame Z. en effet la dilatation est complète. 

Je suis paniquée, A est introuvable et je ne peux pas me permettre de le chercher dans tout l'hopital. La table est à moitié prête, l'autre sage-femme de garde m'encadre "met tes gants" mais la table n'est toujours pas prête, et j'ai déjà les mains gantées... "t'en fais pas je m'en occupe" dit une voix, la Sage-femme venue à mon secours? L’anesthésiste? L'aide soignante?

Madame Z est installée dans cette horrible position gyneco. Par moi, ou quelqu'un d'autre, je ne sais plus. C'est passé si vite.

Madame Z trouve aussi que c'est passé un peu vite, elle est tout autant deboussollée que moi. Je tente de reprendre le dessus vis à vis de ma panique.  Madame Z a déjà 4 accouchements au compteur, elle est dans une position peu clémente pour son périnée, elle est perdue, moins aussi, mais un peu moins, je dois la guider. "Poussez doucement madame, soufflez bien tout en poussant" son enfant arrive doucement, sans soucis. Il est né, elle est heureuse. Son mari est là, tiens je ne l'avais pas vu arriver...
Je reprend mes esprits, il faut encore délivrer le placenta. Je demande à l'aide soignante s'ils ont retrouvé A, puisque c’était lui qui m'encadrait. "je suis là" 
Trop emballée et concentrée sur cette naissance, je ne l'avais pas vu rentrer. C'est lui qui a préparé la table d'accouchement lorsque, perdue, j’enfilais mes gants.

"Alors, ce premier accouchement seule?"

shoot d'adrenaline!

Ce n'est pas la première naissance à laquelle j'ai assisté, ni celle à laquelle j'ai participé pour la première fois, mais la première "en solo".

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